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Coutume et droit écrit

                                    Droit écrit

                                                  et

                                      Coutume

 

 

 

 

 

 

« D'anciennes coutumes de provinces au sud de la Loire sont écrites en dialectes du Nord, et je ne puis admettre que primitivement les deux Charentes, la Creuse, le Cher, l'Indre, l'Indre-et-Loire, etc., aient été occitaniens. »

Extrait de Poésies en patois limousin augmentée d'une étude sur le patois du Haut-Limousin, d'un essai sur les fabulistes patois, d'une traduction littérale, de notes philologiques et d'un glossaire, par M. Émile Ruben, 1866.

 

« Les justices dites du Haut et du Bas Limousin laissent de côté l’essentiel de la Creuse, le nord de la Haute Vienne et la région de Rochechouart. Enfin le droit coutumier renforce encore l’appartenance poitevine de Rochechouart et l’autonomie de la Marche. Décidément, cette dernière ne peut pas être qualifiée sans abus de limousine, puisque tout concourt à la doter d’une individualité propre (…). »

Robert Chanaud, Le Limousin, pays et identités, PULIM, 2006.

 

 

 

L’ancien Droit Français était marqué par un manque d'uniformité du à la division entre pays de coutume et pays de droit écrit. Cette démarcation est souvent décrite comme allant de La Rochelle à Genève et est souvent associée à la ligne séparant langues d’oil et langues d’oc.

 

Au sud de cette ligne se trouvaient les pays qui suivaient des pratiques inspirées du droit romain (jus scriptum), le droit écrit qui s’identifiait avec la compilation réalisée au VIe siècle par ordre de l’empereur Justinien Ier. Les spécialistes estiment que les  textes provenant des juristes romains de l’époque classique ont été remis au goût du jour à Bologne qui fonda une faculté de droit. Entre les XIIIe et XIVe siècles, Bologne devint une ville universitaire attirant de nombreux étrangers qui reprirent le modèle romain de droit écrit en Italie, en France, puis dans l’Europe toute entière.

Les pays occitans, déjà en contact avec l’Italie avec les troubadours, étaient de droit écrit.

 

Au nord de la démarcation se trouvaient ceux qui appliquaient les Coutumes (droit sous forme orale) formées au cours du haut Moyen Age et vraisemblablement héritées des royaumes germaniques tous dotés d’un droit exclusivement coutumier.

Ce style de droit est constitué de règles anciennes qui ont fini par être obligatoires.

Il faudra attendre le XVe siècle pour que les diverses Coutumes soient mises officiellement par écrit puisqu’elles furent l’objet d’une rédaction officielle décrétée par le roi Charles VII avec l’ordonnance de Montil-les-Tours de 1454 et réalisées entre 1497 et la fin du XVIe siècle.

 

« Alors que Limoges et Brive, pays de droit écrit, dépendent en appel du parlement de Bordeaux, Guéret et Chénérailles relèvent de celui de Paris rassemblant les provinces soumises à un droit coutumier. »

Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000.

 

 

On recensait à la fin du XVIIIe siècle, 60 Coutumes principales, dont celle de la Marche, et environ 500 Coutumes locales.

                                       

                                                       Carte tiré du livre Limousin, pays et identités

 

La Coutume de la Marche

La duchesse de Bourbon et d’Auvergne, qui était aussi comtesse de la Marche, fit édicter en 1521 la Coutume de la Haute Marche régissant les sept châtellenies qui en dépendaient : Guéret, Drouilles, Chénérailles, Felletin, Aubusson et Jarnages (le sud de la Haute Marche pouvait aussi dépendre parallèlement de la Coutume d’Auvergne).

La sénéchaussée de la Basse Marche (Bourganeuf, Pontarion, St Benoit du Sault, le Dorat, etc.) dépendait pour sa part de la coutume du Poitou (in Travaux sur l'histoire du droit français d’Henri Klimrath).

 

Cette question de limite entre droit écrit et Coutumes peu sembler incongrue au XXIème siècle. Pourtant, elle apparaît très souvent dans les organisations occitanes, qu’elles soient culturelles ou politiques, en ce qu’elle permet de marquer la différence entre pays occitans et pays « français »… et certainement aussi en ce qu’elle s’assimile peu ou prou à la limite en langues d’oil et langues d’oc : « Si la Francie (Bassin Parisien soumis à l'autorité d'un roi) est un pays où le droit coutumier reste prépondérant, les pays occitans, eux, sont de droit écrit, héritage du droit romain (administratif, financier et pénal), codifié par les Wisigoths au Ve siècle (rédigé et promulgué à Aire-sur-Adour par Alaric II en 506 sous l'appellation de "Lex Romana Wisigothorum", plus connu sous le nom de "Bréviaire d'Alaric") » lit-on par exemple en 2008 dans la revue occitane toulousaine Infoc, (Bulletin mensuel d’informations des activités culturelles occitanes) dirigé par Jòrdi (Georges) Labouysse, membre du Partit occitan à Toulouse et consacré à l’histoire de la ville de Toulouse.

 

 

Si la référence au droit écrit participe fort logiquement de la culture occitane, force est de constater que la Creuse et la Marche ne la partagent pas, l'existence d'une Coutume propre les rapprochant des pays d'oil.

 

 

Baillages et sénéchaussées

 

« Les deux termes sont en effet synonymes, et de nombreux auteurs établissent la distinction d’après ce clivage langue d’oïl-langue d’oc, baillages au nord, sénéchaussées au sud, la limite se situant dans les territoires ici concernés, car la sénéchaussée de Guéret jouxte au nord le baillage d’Issoudun. »

Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000.

 

La Marche disposait de sénéchaussées, une en Haute Marche (Guéret) et deux en Basse Marche : « depuis 1572, la Marche était donc divisée en trois sénéchaussées (la basse Marche en comptait une au Dorat et une à Bellac), et ceci correspondait bien au cadre géographique de la province. ». Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000.

Ce principe de sénéchaussées laisserait donc penser que la Creuse  appartenait aux pays du sud de langue d’oc…

Pas aussi simple puisqu’il existait aussi des sénéchaussées en pays d’oïl (Montmorillon par exemple).

Des villes creusoises dépendaient aussi de baillages : Boussac du baillage d’Issoudun, Gouzon de celui de Moulins, Evaux, Chambon, Auzances du baillage de Montpensier, etc... La région de Bourganeuf a été, dès 1434, un baillage dépendant du Poitou (mais dépendant de Guéret) et il ne fut supprimé qu’au XVIIe siècle.

Enfin, les sénéchaussées marchoises relèvent, à partir de 1470, du Parlement de Paris et, en 1789, celui-ci couvre la Marche, l’Angoumois, le Berry, le Poitou, l’Auvergne, le Bourbonnais et le Nivernais.

 

Si la référence aux baillages et aux sénéchaussées permettait de définir une identité précise,   force est de constater que la Creuse et la Marche ne peuvent, du fait de leur position intermédiare, appartenir définitivement, sur ce point précis, aux mondes d'oïl ou d'oc.